Pauline Furman
Pauline Furman est une peintre particulière. Sa matière? Le velours !
Des carrés de tissus qu'elle découpe, façonne et incruste pour donner vie à des tableaux uniques. Douceur et mouvement s'entremêlent au coeur de son atelier de Saint-Ouen.
Photos et interview par Mylène Comte
Je suis artiste plasticienne et set designer. J'ai bientôt 33 ans et suis autodidacte. Mon travail s'articule autour du textile et principalement le velours. Mes tableaux sont des histoires personnelles dans lesquelles on voudrait se coucher pour se réconforter.
Je viens du monde de la communication, que j'ai quitté il y a 1 an et demi quand j'ai décidé d'arrêter de me faire souffrir à vouloir rentrer dans un moule qui ne me convenait pas du tout. Je suis une passionnée au sens large, quand j'aime et fais quelque chose, je le fais à fond, ce qui a ses avantages mais aussi un peu ses inconvénients. L'organisation mais aussi le lâcher prise et les respirations sont des notions très importantes pour mon fonctionnement.
C'est un endroit que j'ai rejoint juste avant le confinement, moment pendant lequel je n'ai pas pu en profiter. Je m'y suis installée depuis juin, c'est mon premier atelier en dehors de chez moi. J'y suis très heureuse, grâce à l'espace que j'ai, je peux enfin prendre toute la place que je veux et voir plus grand, y avoir une pensée plus structurée et aussi y faire plein d'expérimentations. J'y ai apporté toutes les choses qui m'inspirent et nourrissent mon imaginaire.
Il dispose de grandes fenêtres qui donnent sur de vieilles maisons de ville et de grands arbres, et la lumière en fin de journée y est magique.
Le velours m'est apparu comme une évidence sans trop comprendre au départ. Au fil du temps, j'ai réussi à l'analyser, le comprendre, le travailler, et c'est une source d'inspiration incroyable : il est mouvant, il s'adapte à son environnement, il n'est jamais le même selon d'où on le regarde. Il est étrange et doux, lumineux et sombre, comme moi.
Esthétiquement, elles viennent beaucoup de mon amour des vieilles choses, de ce qu'il y avait chez mes grands parents, de ce que je trouve dans les vides greniers. Il y a une certaines nostalgie difficile à décrire parce qu'elle fait référence à quelque chose de très lointain, que notre génération ressent particulièrement et recherche inlassablement.
Elles viennent aussi de mon histoire, de mes tristesses, mes peurs, mes traumatismes et de la façon dont on peut réussir à s'en détacher à force d'effort et de questionnement de soi. Dans mes tableaux, il ya un grand désarrois mêlé à un espoir sans limite.
Mon couteau pour "valider" les incisions que j'ai préalablement fait avec un scalpel. C'est ce qui me permets d'incruster mon velours sur mon support, de figer sans que cela soit immuable. C'est aussi parfois mon pire ennemi, car son utilisation à outrance me crée lors des moments de rush des cloques et calositées pas très agréables.
Je suis en train de travailler sur un diptyque qui s'appelle "J'étais comme un verre vide". Au départ, c'était un croquis réalisé dans mon lit, mon spot favori pour dessiner. Je l'ai ensuite mis en couleur sur mon ordinateur, à l'aide de ma palette composée exclusivement de morceaux de cuirs scannés (j'ai beaucoup de mal à travailler la couleur sans matière, si elle est, de mon point de vue, plate). Puis, après quelques mois, je suis retombée sur ce dessin et me suis rappelée qu'il illustrerait parfaitement ce que je pouvais ressentir parfois, ces jours où je ne suis pas super bien, lorsque je me sens vide sans pouvoir l'expliquer, une sorte de déprime physique que nous sommes nombreux à ressentir. Je suis contente de prendre le temps de réaliser ce tableau, de ne pas me mettre de pression, d'attendre le bon moment pour y travailler et y apporter les éléments et le velours parfait, pour qu'à la fin mon tableau corresponde exactement à ce que j'ai envie de raconter.
Il y en a deux : "Regarde comme je voyage", un tableau que j'ai réalisé pour ma première exposition personnelle du même nom. Il veut dire beaucoup pour moi puisqu'il est l'aboutissement d'un travail sans relâche que je réalise depuis maintenant 5 ans, quand j'ai décidé que je ferai tout pour devenir artiste, même si cela devait passer par d'énormes sacrifices. Quand je le regarde, je me dis "tu vois, tu as bien fait de croire en toi". Le deuxième, c'est "Peonies & Tears", qui marque un tournant dans mon approche esthétique et mon entrée plus concrète dans l'abstraction. C'est avec lui que je me suis donné le droit de me laisser aller à faire des dessins que je n'aurai jamais pensé réaliser ou assumer. À ce jour, ces tableaux ont tous deux rejoint de nouveaux propriétaires, et ça me plaît de les savoir vivre ailleurs une nouvelle vie tout en restant très présents dans mon coeur.
Instinctivement, je pense toujours à Christine and the Queens. Par ses textes et au fil des ans, elle m'a aidé à évoluer, à comprendre des choses sur moi, à me relever. Elle me redonne toujours de l'espoir, j'ai l'impression d'évoluer avec elle. Et ça, c'est pour moi une vraie force chez un artiste que de réussir à susciter tant d'émotions. Je l'aime vraiment ! J'ai d'ailleurs nommé certains de mes tableaux comme l'un de ces titres, People I've been sad.
C'est très changeant, surtout parce que c'est plutôt le velours en lui même qui me parle que sa couleur. En ce moment, je suis très portée sur le bleu et ses variations vers le noir et le gris, et j'utilise toujours une base crème, indispensable pour moi.
La plupart du temps, ce sont des podcasts autour du féminisme et questions de société actuelles. J'aime aussi beaucoup les fictions audio, ou encore les histoires terrifiantes et réelles d'Affaires Sensibles, mais j'essaie de limiter un peu en ce moment et d'écouter des choses un peu plus légères. Je mets aussi pas mal de séries "doudou" que j'ai déjà vues comme ça je peux suivre sans regarder, juste en écoutant. Ma préférée de tous les temps, c'est évidemment Grey's Anatomy.
J'ai acheté une structure gigantesque à la Réserve des Arts, qui est un lieu de revalorisation des matières premières de grandes maisons de couture ainsi que de décors d'institution culturelles et théâtres, réservé aux artistes. Cette structure, j'aimerais la recouvrir de velours, et en faire l'icône, le totem de ma prochaine exposition. Cela me demandera beaucoup de travail et de technique, mais j'ai hâte de m'y mettre.
Comme avant je travaillais de chez moi, j'ai un peu gardé le mode pyjama pour être à l'aise. J'y laisse aussi une paire de claquettes pour être sûre que je peux m'y sentir comme à la maison. J'aime bien l'idée d'y aller sans réfléchir, sans me prendre la tête sur savoir à quoi je ressemble.
Je me balade, je marche beaucoup, je prends l'air avec mon chien Pierre et j'essaie de trouver des spots où il pourra être heureux et moi aussi. Ma petite soeur habite dans un village collé à une grande forêt où j'ai grandit, j'adore y aller et m'y promener seule ou avec ma famille et mes ami(e)s. Ca me fait un bien fou. J'aime aussi faire ce qu'on appelle ne rien faire, à savoir me prélasser dans mon lit ou sur mon canapé, et faire des siestes.
J'aime beaucoup La Crème, un petit salon de thé juste à côté dans le marché Paul Bert-Serpette : il est tenu par un couple très gentil. Ils ont une terrasse ensoleillée, un balcon caché, un chaï latte délicieux ainsi qu'un adorable petit teckel qui s'entend très bien avec le mien. Moi qui adore depuis toujours ce quartier, c'est le lieu idéal pour profiter de l'ambiance des antiquaires un dimanche après-midi. C'est un peu cliché, mais beaucoup trop plaisant.